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Interview Amina N’Diaye Leclerc pour la revue « Jeune Afrique » |CHILD| Interview Amina N’Diaye Leclerc pour la revue « Jeune Afrique » – Amina N'Diaye Leclerc

Interview Amina N’Diaye Leclerc pour la revue « Jeune Afrique »

Amina Ndiaye-Leclerc : « selon Sartre nous sommes définis par ce que nous faisons.»

Qui est la femme sous le patronyme Amina N’Diaye Leclerc? R:J'ai du mal à analyser cette question. Si vous me demandez qui je suis je peux vous renseigner sur ma fiche d'état civil. Mon prénom c'est Amina , mon nom de jeune fille N'Diaye et mon nom d'épouse c'est Leclerc. Je suis née en 1952 à Kaolack Sénégal. Fille de Valdiodio N'Diaye et de Claire Onrozat. Demeurant à Toulouse. Je vous épargne mon numéro de passeport... Pour être plus sérieuse, je constate que dans votre question il y a à définir mon identité féminine. Si on en croit Simone de Beauvoir«On ne naît pas femme mais on le devient » Par ailleurs, d'après Aragon nous sommes, nous les femmes, «L'avenir de l'homme». Cela signifie que c'est notre éducation qui nous définit. Mais c'est aussi notre histoire, notre vécu et bien entendu, selon Sartre nous sommes définis par ce que nous faisons. Symboliquement en temps que femme - émancipée - je revendique plusieurs aspects de ma personnalité: je suis mère et même grand-mère, je me sens féministe sans exclure les hommes pour autant, je pense qu'il y a un combat à mener, encore et toujours, pour la cause des femmes. Enfin j'ajouterai pour rester dans l'actualité qu'il est choquant dans un pays comme la France qu'une telle inégalité règne sur les salaires des femmes à travail égal. Je ne sais pas si j'ai répondu correctement à votre question très complexe qui mériterait d'aller plus loin dans la définition du féminisme et des revendications que nous pourrions formuler pour plus de liberté et d'égalité. Donc pour plus de justice. Comment vivez-vous votre métissage? Pensez-vous réaliser ou avoir réalisé l’équilibre «parfait» entre vos deux cultures? R: Quand je me lève tous les matins franchement je ne m'interroge pas sur mon métissage! Je suis comme je suis c'est tout. Souvent on m'a demandé de choisir entre mes deux cultures. Je suis un tout, un entier. Pas une moitié plus une autre qu'on ne manque pas de mesurer en disant là c'est 50% Europe, là c'est 50% Afrique. Non, une rencontre de cultures n'est pas un programme mathématique. Tout se mélange et s'équilibre pour donner un être particulier, un être unique mais qui est comme tous les autres hommes, comme toutes les autres femmes. Pour être plus précise ce n'est pas la couleur de la peau qui fait le métissage. Avec la mondialisation nous nous enrichissons de mille cultures et pour moi, c'est là le vrai métissage. Par exemple, moi, voyez-vous, j'ai la passion des bonsaïs et j'aime faire du yoga. C'est d'origine asiatique. Si j'avais été d'origine chinoise vous m'auriez-vous demandé de doser ma part asiatique? Quant à l'équilibre parfait, comment définir et mesurer la perfection, comment l'atteindre? J'essaye de puiser dans tout ce que j'aime, peu importe l'origine. Comment cela s’exprime-t-il dans votre travail ? R: Je pense que mon travail reflète ce que je suis, mes expériences, mes passions et mes obsessions du jour, du mois ou de l'année. Il y a une constante dans mon travail c'est l'histoire de mes douleurs passées qui re-surgit , souvent inconsciemment d'ailleurs. Enfant j'ai vécu un drame douloureux et sans cesse il revient dans mes toiles. La peinture agit en moi comme une psychothérapie, j'éprouve un grand réconfort, une sorte de sérénité lorsque je me concentre sur une couleur. Mon esprit s'échappe des réalités, s'enveloppe dans des atmosphère que j'aime et me permet de voguer hors du temps présent. Pourtant lorsqu’on lit sur votre site internet, la description de votre travail de peintre, sauf mauvaise lecture et interprétation de ma part (et je vous le concède), il semble que votre peinture s’appuie sur la partie africaine de votre culture. Une espèce de réquisitoire. Est-ce l’européenne en vous qui dépeint l’Afrique par son pinceau? R: Comme je l'expliquais, ma peinture reflète ce que je suis. Encore une fois, cela n'a rien à voir avec mon métissage, il ne faut pas tout ramener à la couleur comme je l'ai souvent entendu! Moi personnellement ce qui me caractérise c'est que, lorsque j'étais enfant, on m'a séparée de mon Père, manu militari. J'avais 10 ans, mon Père a été jeté en prison, enfermé à Kédougou, au fin fond du Sénégal, tandis qu'avec ma famille, ma Mère, mes frères, j'ai été expulsée vers le France. Lorsque vous vivez une enfance choyée au milieu des vôtres et tout à coup tout bascule en quelques heures, vous en gardez les stigmates. Cet éloignement forcé de mon pays a provoqué en moi cette recherche du paradis perdu, du cocon familial. Donc je me suis toujours intéressée à tout ce qui provenait de ce continent qui m'était interdit. Notamment à l'art africain que je trouvais d'une richesse incroyable avec ses formes cubiques qui ont inspiré Picasso. Comment oublier qu'on ne m'a pas autorisée à revenir en Afrique pendant 10 ans, et qu'on ne m'a pas autorisée non plus à voir mon Père! Vous comprendrez donc que c'était pour combler ce manque que je puisais dans la culture africaine. Si réquisitoire il y a, pour reprendre votre formule, c'est contre une injustice fomentée par Senghor, réquisitoire contre toutes les éliminations systématiques de leaders politiques africains qui œuvraient pour leur pays, pour une véritable indépendance, au profit de marionnettes désignées par le colonisateur. Parlant de vos peintures, je vous cite:«J’ai utilisé des bleus indigo en contraste des rouges et des jaunes qui sont des couleurs chaudes.». Pouvez-vous nous donner la signification de ces couleurs en rapport au contexte, pour nous permettre un meilleur décryptage de votre travail ? R: le bleu indigo c'est ma couleur préférée. Un critique d'art a écrit que c'était parce que:«J'avais des ecchymoses et des bleus à l'âme.» J'ai trouvé cette interprétation très belle. Le bleu est la plus profonde des couleurs, le regard s'y perd à l'infini. C'est aussi la plus froide et dans sa valeur absolue, la plus pure aussi. C'est la couleur du ciel celle qui s'offre aux yeux du prisonnier. Je pense à Verlaine «Le ciel est par-dessus le toit, si bleu si calme.» Verlaine était en prison lorsqu'il a écrit ce vers. Moi, c'est à un autre prisonnier auquel je pense. Mon Père. Douze ans en isolement à Kédougou. Pourquoi? Parce qu'il portait ombrage à certaines personnes avides de pouvoir. Parce qu'il avait osé affronter le Général de Gaulle pour exiger l'indépendance de son pays et enfin parce qu'il avait le cœur pur. Il a été victime d'un règlement de compte, d'une très grande injustice. Senghor a tout fait pour occulter cette page sombre de son parcours politique. Mon combat c'est de démasquer le personnage, faire tomber le masque. Juste un film, et quelques tableaux qui dénoncent. Ce n'est pas grand chose mais c'est un devoir de mémoire à l'égard de mon Père. Dire ce qu'il était, rappeler ce qu'il a fait et ce qu'il a subit. Avec des couleurs simples moi j'étale la vérité au grand jour, à la lumière des rouges et des jaunes. Ces couleurs chaudes, elles expriment aussi la chaleur qui régnait à Kédougou, cet enfer, cette Sibérie à l'envers. Elles expriment la souffrance de ma Mère qui avait droit à une heure de visite par mois, sous surveillance policière bien entendu. Et ce schémas du camp doté de miradors qui revient sans cesse dans mes compositions. Décrivez-nous au choix deux de vos tableaux et pourquoi ceux-là? R: Je vais vous décrire mon dernier tableau, «Egypte Turquoise»qui est comme tous mes tableaux dans une forme abstraite. J'ai travaillé une harmonie de couleurs bleues et de turquoises. C'est une histoire qui part de l'Egypte ancienne avec la civilisation que l'on connaît tous et c'est une référence à Cheick Anta Diop qui trouvait dans la culture sénégalaise des points communs avec l'Egypte des pharaons. Il disait que certains pharaons étaient noirs et bien entendu cela dérangeait certains esprits occidentaux. Comment des Noirs pouvaient-ils représenter un summum de civilisation? A l'heure de la montée des extrêmes en Europe j'ai eu envie de me pencher sur ce thème. On devine des hiéroglyphes sur mon tableau, n'oublions pas que Cheick Anta était capable de les déchiffrer, les couleurs évoquent certains bijoux du trésor de Toutankhamon et enfin on devine un personnage pharaonique dans sa stature codifiée. N'oublions pas que dans la tradition biblique , l'Egypte a aussi symbolisé le pays de la servitude subie. On en revient encore, de façon toute symbolique, à cette Afrique colonisée. L'idée de «La fuite en Egypte»renvoie aussi au symbole de l'éloignement forcé. Enfin la couleur turquoise, celle qui, dans les anciennes civilisations d’Amérique latine, évoque le feu ou le soleil. Le soleil est fécondateur mais il peut également brûler ou tuer. En outre, il peut être considéré, dans les dessins d'enfants comme dans les rêves d'adultes, comme l'image du Père. Le deuxième tableau s'intitule:«Basalte Noir». On devine un aspect minéral opaque et sombre. Il est très rare que j'utilise des tons foncés, je vois plutôt la vie en «transparence» . Cependant dans ce tableau, c'est différent, on devine l'ébauche d'un camp dessiné par des terres arides. Partout il y a des traces, des empreintes qui laissent deviner un drame caché. Des stries, comme des années marquées et comptabilisées par le prisonnier, il y en a douze dans le carré gauche. Et cette coulée centrale, gluante qui semble se fondre dans l'oubli. Peu de mouvement, un temps statique qui n'en finit plus. C'est ce que j'ai exprimé. Mais je n'aime pas expliquer mes tableaux. Lorsque vous êtes attiré par une œuvre, essayez de l' interpréter à votre façon en transposant votre propre histoire. Pourquoi mettre autant de logique, de raison , de mots sur des œuvres destinée à susciter une émotion intense. Quand je regarde une œuvre d'art j'attends que l'émotion vienne, parfois elle surgit, violente, extrême, je ne peux expliquer pourquoi, je n'ai pas besoin que le peintre vienne m'expliquer son langage, et je ressens au fond de moi-même ce qu'il a exprimé même si nos explications diffèrent. Ce que l'artiste a réussi à me transmettre c'est un ressenti, une impression indéfinissable parfois. L'explication je la cherche plus tard, d'abord je guette l'émotion. C'est comme une rencontre amoureuse ou amicale. Le courant passe ou pas. Plus tard vient le moment de l'analyse. Il m'est arrivé de sortir d'une exposition les larmes aux yeux, de ressentir la même émotion qu'à la sortie d'une salle de cinéma, lorsque j'ai vu un bon film. Je me souviens d'une rencontre avec Gauguin, d'une autre avec Modigliani et puis le très grand Picasso confronté à Matisse, c'était, à mes yeux, des expositions inoubliables. Depuis « Valdiodio N'DIAYE, l'Indépendance du Sénégal », film que vous avez réalisé, quelle est votre actualité cinématographique ? R: J'ai écrit un scénario de fiction sur le même thème, c'est un peu la suite du documentaire. Je prends des contacts pour le produire. C'est très difficile surtout dans le contexte de crise actuel. Pouvez-vous rappeler aux uns et autres qui est Valdiodio N'DIAYE, le personnage de votre film ? R:Voici le texte de présentation de mon film Héritier d’un royaume disparu, Ministre de l’Intérieur du Sénégal, Valdiodio N’Diaye, est confronté à son destin lorsqu’il affronte le Général de Gaulle, le 26 août 1958 à Dakar et qu’il traduit, du haut d’une tribune, l’aspiration de tous les peuples d’Afrique noire: « Nous disons indépendance, unité africaine et confédération. » Lorsque le Sénégal devient enfin indépendant le 4 avril 1960, après 500 ans de d’esclavage et de colonisation, comme un déclic, c’est toute l’Afrique francophone qui devient libre. En 1962, le destin de Valdiodio N’Diaye va basculer dans la tragédie. Il est accusé de complot contre l’Etat! Comme de nombreux leaders africains qui ont oeuvré pour la liberté, cet homme qui a prouvé son attachement aux valeurs démocratiques va se retrouver en prison, tenu dans l’isolement le plus terrible, pendant douze ans. Le film interroge sur les raisons, les faux prétextes, qui ont permis l’élimination tout à fait injuste d’une équipe gouvernementale, à une époque, où, les élites politiques, brillantes mais peu nombreuses, construisaient une nation démocratique. Une famille est brutalement séparée, des enfants innocents sont privés de leur Père au nom de la raison d’Etat, Valdiodio lui est tenu au secret. La vie de cette famille semble brisée et pourtant malgré les souffrances, le temps passe et un combat s’engage. La presse est alertée, des pétitions circulent, les détenus politiques sont enfin libérés. Comment évaluez-vous, en rapport au film, la distance entre Amina N'Diaye Leclerc, fille de son père et Amina N'Diaye Leclerc la réalisatrice? R: Pourquoi imaginer qu'une distance est nécessaire pour faire en sorte qu'un film soit crédible? On pourrait me soupçonner de travestir l'histoire du fait qu'il s'agit de l'histoire de mon Père. Valdiodio a été maintenu dans l'ombre pendant près de 12 ans, et pendant des années ce sont ses adversaires qui ont écrit et falsifié l'histoire. Quand vous faites un documentaire et que vous vous appuyez sur des images d'archives les images sont là , les témoignages et les preuves sont bien réels. Très souvent l'histoire est écrite par les vainqueurs. Sont-ils plus fiables au regard de la vérité historique? Ont-ils mis de la «distance» pour camoufler leur forfait? Savez-vous que mon Père a été jugé par une Haute Cour de Justice et que le Procureur général n'a réclamé aucune peine? Savez-vous que le général Diallo nommé par Senghor lui-même a été décoré pour un acte hautement honorable, qui a évité une guerre civile et que lorsqu'il a été entendu par la justice, il a déclaré que cette décoration c'est Valdiodio qui la méritait? Comment expliquez vous que j'ai retrouvé une image d'archive de Senghor qui déclare depuis le balcon du palais présidentiel:«J'ai réquisitionné l'armée qui s'est mise toute entière derrière moi» Or, pendant le procès on a accusé Valdiodio d'avoir tenté un coup d'état par la réquisition de cette même armée! N'oubliez pas qu'à cette époque la presse n'était pas libre comme aujourd'hui, qu'il y avait un parti unique et l'unique organe de presse «Le Soleil» était à la solde du pouvoir. On a caché la vérité et justement cette distance dont vous parlez, parce qu'elle n'existait pas entre mon Père et moi, m'a permis de savoir la vérité dès le début, grâce notamment à des documents conservés dans ma famille et puis bien entendu il y avait la presse française. Le journal «Le Monde» à l'issue du procès avait écrit:«Les accusations contre Valdiodio N'Diaye ont fondu comme neige au soleil». Je ne prétends pas avoir fait œuvre d'historienne, j'ai juste fait un film qui relate une page d'histoire et qui rappelle le rôle joué par Valdiodio N'Diaye lors de l'indépendance de son pays. Certains historiens sénégalais s'en tiennent à la version propagée par Senghor, comme ils adulent ce personnage, ils refusent simplement de voir la vérité en face. Comme les livres d'histoires ne mentionnent rien à ce propos, il était important que les choses soient dites. Savez-vous que même les images d'archives de la rencontre avec de Gaulle ont disparues. Elles sont classées secret-défense m'a-t-on dit de source bien informée. Eh bien, j'ai malgré tout retrouvé un film amateur qui illustre mon propos. Je tiens à vous informer aussi que personne n'a contesté ce qui est dit dans le documentaire. Lors de la première à Dakar, en 2000, il y avait une délégation des amis de Senghor et aucun n'a pu contester les faits hautement avérés. En résumé, la distance n'est pas de mise dans ce documentaire que je considère comme une œuvre d'auteur, dotée d'une ligne éditoriale qui correspond à une vérité historique. Nul réquisitoire contre qui que ce soit, je m'en tiens aux faits, rien qu'aux faits. C'est le spectateur qui s'autorise ensuite à juger en toute connaissance de cause, selon ses propres valeurs morales. Pensez-vous que l’ancien président du Sénégal Abdoulaye Wade, (qui était un des conseils de votre père face à son bourreau Léopold Sedar Senghor) ait, pendant son règne, été dans la droite ligne des idées de votre père? R: Vous utilisez le terme «Règne» qui est en contradiction fondamentale avec l'idée de la démocratie que se faisait mon Père. Ce que je peux affirmer, c'est que, quelles que soient les dérives monarchiques de Monsieur Wade, dans l'affaire qui me concerne, c'est-à-dire la réhabilitation de mon Père Valdiodio N'Diaye, lors du procès, Maître Wade, en tant qu'Avocat, connaissait parfaitement le dossier et savait l'implication de Senghor dans l'affaire. Il souhaitait rouvrir le procès, il ne l'a pas fait, je suppose pour des raisons politiciennes. Sur le fond, la Cour Suprême estimait qu'il y avait assez d'éléments nouveaux pour que le procès soit instruit à nouveau. Vous devinez ce que cela voudrait dire. Senghor serait ouvertement mis en accusation et s'il avait vécu il aurait pu être poursuivi au pénal en raison de ce qu'il a fait subir à ses adversaires. La rétention en isolement pendant douze ans est un acte de torture hautement répréhensible. Je rappelle qu'en 2000 lorsque mon film est sorti et que la presse est revenue sur les éléments, Wade a ordonné l'ouverture du procès. Senghor était encore vivant, c'est à sa mort que Wade a renoncé à le poursuivre. Ensuite pour le Cinquantenaire des indépendances, il a annoncé qu'il souhaitait la réouverture du procès et je tiens à rappeler aussi que la Mairie de Dakar a décidé de donner le nom de Valdiodio N'Diaye à la place de l'indépendance. Là encore, ironie du sort, rien n'a été fait. J'imagine encore quelques trahisons d'ordre politique. Après cette parenthèse pour en revenir aux idées de mon Père, je rappelle qu'il a toujours oeuvré pour que le Sénégal soit une nation libre. Il se préoccupait du pouvoir d'achat des populations les plus déshéritées, et souhaitait développer aux côté de Mamadou Dia des coopératives agricoles pour que le pays soit moins dépendant des importations agricoles. Tous deux se sont battus contre les grandes compagnies qui organisaient la traite de l'arachide et ils voulaient casser cette monoculture. Valdiodio N'Diaye était un homme qui avait un idéal, il était persuadé que l'Afrique ne verrait son salut qu'en développant le fédéralisme. Il rêvait des Etats-Unis d'Afrique et savait que les divisions du continent n'apporterait pas le développement souhaité. Au moment de l'indépendance, Mamadou Dia avait décidé de fermer les bases militaires françaises. On voit comment ces hommes qui voulaient bâtir une nation libre se sont retrouvés privés de liberté. Valdiodio avait la passion des études, c'était un homme d'une grande culture et il pensait que c'est par l'éducation qu'il fallait développer le pays. Pour lui l'enseignement était à la base de tout. Autre point important c'est lui qui a dessiné la nouvelle configuration des régions, lui qui a détruit les pouvoirs traditionnels, ceux-là même dont il était issu, tout cela au nom de la démocratie et de l'égalité. Il était fils de roi et lui seul pouvait imposer les nouvelles règles de transmission démocratique. Par ailleurs, avec Mamadou Dia, ils se sont mis les Marabouts à dos en refusant toute compromission avec les pouvoirs religieux. Le Sénégal était un état laïque et il n'était pas question que les confréries religieuses s'immiscent dans la politique gouvernementale. Chacun avait son rôle à jouer mais pas sur le même registre. Ils ont payé très cher cette prise de position. Tout le monde sait le rôle qu'ont joués les Marabouts dans le conflit contre Senghor! De quoi souffre le cinéma (dans toutes ses formes) au Sénégal et en Afrique en général de votre point de vue ? R:Le cinéma est inexistant en Afrique francophone au niveau de la distribution en salle. C'est dramatique. Quand je pense que dans les années 1960, j'allais au cinéma le jeudi après-midi voir les grands films de l'époque ( Les dix commandements...) et qu'aujourd'hui dans une ville comme Dakar, on peut voir quelques films au Centre culturel français mais il n'y a plus de circuit à proprement parlé. Quel dommage! La télévision n'a pas la même dimension. Hormis le manque de salle, le manque de budgets est flagrant. Pas de politique culturelle cherchant à promouvoir le cinéma. Pourtant cela peut être une industrie et une source de revenus pour un grand nombre de personnes. Au niveau de la formation, je ne comprends pas qu'on ait toujours pas formé des gens de très haut niveau pour toutes les nouvelles techniques qui révolutionne le cinéma et qui font baisser les coûts de production! Pourtant il y avait une place à prendre pour nombre de techniciens de l'image et du son. Le niveau est moyen en général. Par exemple à Dakar il n'y a pas une seule scripte apte à travailler sur un long-métrage. Cela veut dire qu'il n'y a pas de volonté des pouvoirs publics d'offrir des bourses de formations perfectionnées à des jeunes sélectionnés pour leur compétence. Nombre de films sont tournés à Dakar, la production fait venir tout le personnel technique. On pourrait, avant de donner les autorisations de tournage demander que quelques stagiaires sénégalais soient obligatoirement engagés sur les films. L'expérience est capitale dans ce métier. Quitte à ce que l'Etat s'acquitte d'une bourse comme c'est le cas pour d'autres secteurs. Mais les Etats savent bien qu'un jeune cinéaste de talent, impliqué dans les réalités du pays peut faire souffler un vent de contestation. Donc il est plus sage pour eux de négliger ce domaine. Pour financer un film, il faut passer par les aides françaises au cinéma du Sud. Donc, on est quand même soumis à une censure et à des exigences européennes, mais heureusement qu'ils sont là, sinon ce serait la mort totale du cinéma africain. Quant aux financements de l'Europe c'est le parcours du combattant pour les avoir, un Bac + 10 a du mal à remplir leurs dossiers. On est sélectionné sur des critères qui n'ont rien à voir avec la valeur du scénario. Les imprimés à remplir sont les mêmes que si vous voulez monter une usine de savonnettes ou de papier toilette. Je ne plaisante pas, c'est la réalité, les mêmes critères sont exigés. On ne fait pas la différence sur le document à fournir entre un produit culturel et un autre. Cela fait des années que les cinéastes dénoncent cet état de fait, rien ne bouge. D’autres projets de film en vue? Des expositions? R: Comme je vous l'indiquais, je travaille sur le montage financier de la fiction que j'ai écrite et qui concerne Valdiodio à Kédougou et ce que sa famille a vécu après son arrestation. J'ai eu un très bon contact avec une chaîne de télévision au Sénégal et j'espère concrétiser les choses à la rentrée. Sur le même thème un éditeur allemand m'a demandé de participer à la publication d'un livre intitulé «Les Grands Africains ».Je suis chargée de la rédaction de la partie qui concerne Valdiodio. Je dois remettre mon manuscrit à la fin du mois. Côté exposition, cet été je vais travailler une nouvelle série de tableaux qui aura pour thème les signes dans la symbolique africaine. Une belle recherche en perspective. Nous vous laissons conclure cette interview. R:Pour les personnes qui souhaitent se procurer mon film «Valdiodio N'Diaye l'indépendance du Sénégal il suffit de me contacter sur mon site: www.amina-ndiaye-leclerc.com Je leur indiquerai, selon l'endroit où ils vivent, comment se procurer le film. Pour voir ma galerie peinture, c'est la même adresse.   Site "Jeune Afrique" Autre article de "Jeune Afrique"

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